Shibuya: la cité des enfants perdus

Publié le par Ked

Si le prince charmant avait quitté Cendrillon pour les charmes moins conventionnels des petits pages de sa cour, si la princesse avait été entraînée par la boucle sordide d'un destin capricieux, de petits boulots en petits boulots en une spirale infernale, si elle avait terminé dans une chambre aux papiers peints verdâtres à moitié décollés, à regarder le plafond avec de la bave à la commissure des lèvres avant de retourner arpenter l'asphalte froid pour vendre ses appâts défraîchis contre de quoi se payer sa dose de bouffe-cervelle, si Cendrillon avait touché les bas fonds et invitait le Diable à venir la prendre avant que ses entrailles aient fini de pourrir, alors Cendrillon habiterait Shibuya.


Shibuya est une singularité cosmique, une sorte de trou noir putride, la rencontre improbable entre le pays imaginaire et blade runner (d'ailleurs inspiré des lieux). Y défile le cortège d'une génération en perdition, accro au consumérisme, suffoquant dans la poudre des fonds de teints, des talons longs et des jupes tellement courtes qu'on voit le nombril, mais par le bas. Une cohorte improbable d'adolescents paumés dans un monde sans futur, dont les icônes arborent des coupes de cheveux qui défient un peu la gravité mais surtout le bon goût. Shibuya, le quartier où court l'horreur aveugle du sida, entre ses fillettes de seize ans mycologues amatrices qui cachent leurs yeux rouges sous des lunettes noires, ses bouges glauques et ses néons aggressifs. Shibuya et son quartier de love hotel, Shibuya où la jeunesse se consume, Shibuya qui ne manque pas de lier cet enthousiasme adolescent auto-destructeur, cette naïveté nihiliste et ce pas léger plein d'inertie.


Shibuya donc.


A vrai dire je ne saurais dire si l'endroit me fascine ou me répugne. Pas que cela soit contradictoire. Shibuya est une espèce de chaos aux mille visages. Mais quitte à s'attaquer à la bête, autant le faire méthodiquement.


Je vais me concentrer sur une partie atomique de Shibuya: son centre de purikura, à une centaine de mètres du Starbucks coffee de la place principale. Ce purikura, dont le but est de proposer une ribambelle de machines pour se faire prendre en photos, est un lieu de confluence des gangs d'adolescents moribonds du quartier. A moitié humains, ses chimères se mêlent là dans ce qui semble être le plus grand chaos orgiaque.


Cependant, l'observateur attentif et patient ne manquera pas de noter des évolutions, des tendances. Ainsi, l'an dernier, le purikura était le lieu de réunion des êtres fées du pays d'Oz, les hybrides humains-kangourous.


Ne vous laissez pas tromper par leur allure débonnaire d'enfant qui va se coucher en pyjama ridicule. Comme vous ne pouvez pas la voir, c'était des vraies machines à tuer.


Et pourtant.


Pourtant, ils se sont faits détrôner et chasser de là, voire peut-être même dévorer vivants par le nouveau clan qui squatte le purikura: les lionnes. Les Lionnes de Shibuya sont un groupe matriarcal. On ne voit que quelques lions passer de temps en temps, seulement à des fins reproductrices. On note aussi que les félins du print club sont d'un naturel très craintifs. Ce fut seulement gràce aux reflexes éclairs d'un de mes compagnons d'aventure que nous avons pu prendre une image d'une des représentantes du clan des Lionnes.



Ceux qui connaissent l'endroit et le naturel peu amiable du clan comprendront aisément l'exploit que représente même cette photo ratée.


Dans un élan d'ethnologues zélés que mes amis et moi avons tenté un contact avec ce clan, pour en comprendre plus sur leurs motivations et finalement faire avancer la science. Après avoir repéré un groupe de lionnes isolées, sûrement parties en chasse, nous les avons traquées. Elles ont été vite rejointes par quelques mâles lions solitaires et nous les avons observé d'une distance raisonnable. Alors qu'ils ne semblaient pas avoir remarqué notre présence, nous nous sommes subreptiscement approchés d'eux.


Je relate cet événement, mais pas sans un pincemenet au coeur, car, je dois l'avouer, ce fut un échec. Après que nous ayions vainement tenté quelques rugissements du plus bel effet, le clan des félins s'est enfui précipitamment. Afin qu'on ne les pourchasse pas, ils ont d'ailleurs employé la technique, vieille comme le monde, de la diversion en lâchant un sac étrange dans leur fuite.


Après une méticuleuse inspection, nous avons pu conclure qu'il s'agissait d'une bouteille de thé vert. Bien sûr nous l'avons laissée là, on n'est jamais sûr de rien.


Après concertation avec mes collègues, nous avons conclu qu'il s'agissait d'une offrande du clan des Lionnes aux dieux impitoyables qu'elles avaient dû voir en nous, toutes aveuglées par la pensée magique qui habite encore les habitants de ce quartier.


Ce n'est donc que sur une victoire bancale que se finit notre aventure ethnologique. Nous continuons de surveiller l'endroit et attendons le moment où le clan des Lionnes sera détrôné par une nouvelle tendance issue des fantasmes peu naturels de la jeunesse dévoyée et perdue de Shibuya.


Soyez alors sûrs que nous vous tiendrons au courant.

Publié dans Tokyo City Baby

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D
MDR c'est palpitant ces quartier dis donc pour les zoologue mais que sera la prochaine vague? Je demande à voir quand même haaaa ... j'ai envi d'aller faire un tour la bas (mais bon à 800€ l'allée va falloir attendre)Pour l'instant je reste là avec les sauvage de la banlieue parisiènne!Snif snif T_T
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M
moi vouloir etre chat... parfois...
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K
Tu crois qu'on a ete malpolis en refusant leur the? On sait jamais, il etait peut etre empoisonne.
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J
Quand meme, on aurait du le prendre ce the...
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K
J'hesiterais aussi a le faire dans nos cheres banlieues Francaises. Comme le faisait remarquer un ami, Shibuya est en polystyrene. C'est que du vent, des facades qui ne donnent nulle part, un peu Hollywood au Japon. <br /> Il est a noter qu'il est deconseille de reproduire l'experience a un autre endroit. Tokyo a des quartiers tres localise et une pincee de fantaisie a Shinjuku n'est toujours pas prise avec la plus grande des philosophies par nos amis tatoues coupeurs de doigts.
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