Roppongi - une nuit en enfer

Publié le par Ked

Mise en bouche
Imaginez une jolie sculpture d'art moderne, tout en plastique, quelque chose d'élégant, audacieux mais un peu froid, avec des lignes épurées, bicolore. Une trentaine de centimètres au maximum.


Imaginez un petit vieux. La peau cuivrée par le soleil, les yeux plissés, un peu bourru mais un bon fond, une fois qu'on a creusé à travers la crasse et les autres contractures psycho-rigides.


Appelez deux de vos copains Bosozoku, ces fous furieux japs qui essaient de décrasser leur inexistence triste à coup de pilules et de frissons motorisés. Plaquez le petit vieux contre un mur pendant que Bosozoku A fouille dans la poche sale de sa veste de cuir élimé et en tire un vieux chiffon utilisé pour essuyer le carburateur de sa bécane. Il en fait une boule et l'enfonce avec enthousiasme dans la bouche du petit vieux. Ricanez pendant que Bosozoku B donne quelques coups de bottes de moto dans l'estomac du petit vieux. Retirez son t-shirt. Plaquez le au sol, face contre terre. La sculpture sur son dos. Sortez l'agrafeuse. La grosse, pour attacher les gros blocs de feuilles au bureau, avec son coloris bleu un peu passé.  Agraffez la sculpture sur le dos. Ficelez le specimen pour qu'il ne bouge pas trop et recouvrez le tout d'un drap immaculé.


Attendez ensuite. Quelques heures devraient suffire mais, pour être sûr, il est conseillé de patientez environ 48 heures.


Découvrez.


Notez la façon dont trône de façon totalement intrusive la sculpture post-moderne, comme elle contraste avec le petit vieux bourru. Mais remarquez surtout la transition, là où la chair est déformée par l'infection, les teintes violacées, verdâtres. Ce choc, ce rejet violent de quelque chose d'obscènement intrusif. Bon appétit.


Roppongi by Night
Nous voici à la périphérie de Roppongi. Sur la droite s'étend Roppongi Hills, hymne moderne et froid, artificiel et consumériste, ilôt totalement étranger à ce pays. Une concentration de capitaux étrangers, de cadres étrangers, de gens pressés, de grosses voitures et de gaijins qui seraient incapables d'aligner plus de deux mots en Japonais. Des tours gigantesques, un centre commercial de grand luxe. Le pénis dressé du capitalisme dans sa splendeur décadente. Derrière nous, la veine saillante et polluée de l'autoroute qui amène une dimension sale et glauque à l'artère qui se présente en face de nous. Elle constitue la transition, le choc purulent entre deux civilisations qui s'auto détruisent en ue gigantesque réponse immunitaire morbide.


Alors que dans le fond se dresse la tour de Tokyo, copie de notre Tour Eiffel mais peinte aux couleur de Coca, on ouvre son chemin dans la jungle polluée des trottoirs du quartier. On jette à peine un regard bref aux deux trois salarymen Japonais égarés, on trace à travers le groupe de militaires GI en train de beugler en recherche d'un autre bar. On trace son chemin. On est assailli de toute part par des grands Blacks qui proposent d'aller dans un de leurs coupe-gorges glauques, avec trois filles de l'est aux regards vides et une bande de videurs prêts à vous casser les bras si vous ne crachez pas tous les yens que vous avez sur vous. Réflexe. On ne les regarde pas. On avance. On leur répond pas. On avance. On ne leur serre surtout pas la main. On trace, on ne s'arrête pas.


Une entrée sur le côté gauche, on se faufile dedans, histoire de faire une pause. On descend quelques marches et est assailli par la basse puissante de la sono. La musique du 911 est un pot pourri de MTV, le cheeseburger gras et dégoulinant de la musique. A l'intérieur une horde de gaijins. Et, entre les gaijins, des mangeuses de gaijins.


Mangeuse de gaijin
Définition: Une Asiatique (souvent Japonaise, mais pas exclusivement, dans le mic mac sordide de Roppongi) d'une vingtaine d'années, donc le but est de dégotter un copain étranger.
Signes caractéristiques: elle parle Anglais parfaitement, trop même. On grince des dents à son lourd accent américain. Elle ne peut s'empêcher de sortir les expressions à la mode de la sous-culture télévisuelle. Une sorte de parodie de la white trash américaine.
Commentaires: La mangeuse de Gaijin est une veuve noire, une arachnide au sang glacé qui veut sa dose de gaijin. elle veut sa dose d'exotisme, elle veut être spéciale. Elle veut un copain étranger. Elle veut investir, pouvoir fuir sa vie traditionelle, fuir les copains Japonais froids et machos, même si c'est parfois pour tâter l'enthousiasme demeuré des GIs en rut. Peut être même une voie de sortie du pays. Mais avant tout un statut.


Les Mangeuses de Gaijin se trémoussent sur la piste encombrée, snobbant les ivrognes dont les buts sont trop évidents. Elles cherchent le gaijin, mais elles savent qu'elles peuvent se permettre de choisir. Et elles n'ont rien à gagner à se faire trousser sur les poubelles à 3h du matin dans une ruelle glauque de Roppongi. Elles prennent leur temps et tissent leurs toiles.


Scène du crime
Pendant ce temps, l'ambiance dégoûtant de bar à putes pendant la guerre du Vietnam contribue à faire déborder les humeurs primales de la bande de gaijins, déjà dopés à l'alcool et au gros son.


On ressort après avoir vite avalé une bière hors de prix. Un grand bol d'air vicié, toujours mieux que le cocktail déléthère de phéromones qui tournent en circuit fermé dans le club. On est tellement soulagé d'être dehors qu'on se retient de ne pas embrasser le grand Black en costume qui vient vous proposer son bar glaque à lui. L'instinct de survie fait qu'on se ressaisit vite et on redisparaît dans la foule. Plus loin, on bifurque sur la gauche et on s'essaie au Gaspanic.


La porte du sas s'ouvre sur un spectacle de débauche qui est devenu maintenant familier. Encore plus de mangeuses de gaijins et de gaijins avinés, le visage bouffi, les yeux torves. On pousse un gaijin qui s'effondre sur sa table, et on arrive à se faufiler jusqu'au comptoir. Un Japonais gaijinisé nous lance un regard pendant qu'il remplit avec maladresse une bière. Un nasillard "What do you wanna drink, mate?". Rictus. Il semblerait que ce soit caractéristique de vouloir prendre tous les plus mauvais côtés d'un culture quand on est intéressé par un pays, ou plutôt qu'on veut fuir le sien. On commande quelqus bières pour les copains. On reçoit bientôt quelques une de ces chopes en plastique, avec à l'intérieur une sorte de cocktail maison: moitié bière - moitié mousse. La bière étant probablement un mélange de tous les fonds de bouteille des soirées précédentes. On s'adosse au comptoir et toise la masse d'un regard pathibulaire. Sur le comptoir, des étrangères qui font du cosplay sont encouragés par les boeufs et par l'alcool à prendre des poses aguicheuses.  Des serveurs au regard mauvais tournent et vérifient que la chope n'est pas vide, condition nécessaire pour ne pas se faire virer de l'endroit. On jette quelques autres regards, pousse un peu deux trois gaijins dans l'espoir d'une petite baston qui détendrait.


Back to Reality
Mais rien. Juste un grand fleuve de pus, verdâtre et iridescent. On sort après la bière vite avalée. Un dernier regard sur l'artère dégoulinante de Roppongi. Les tours de Roppongi Hills dominent la scène de leur majesté fantômatique alors que le fleuve de gaijins ivres ne cesse de se déverser entre rabatteur et petites échoppes de yakuzas. On hausse les épaules et on retourne du côté Nippon de Tokyo. Là bas, au moins, il y a un bon fond.

Publié dans Tokyo City Baby

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S
quand je vois ce qui se passe à roppongi ,j'ai mal pour les japonais.on repére vite les gaijins qui ne viennent que pour la frime, ils ne vont jamais dans les izakaya,jamais ils ne parleront<br /> japonais.ils me donnent la gerbe.un bon coup de pied au cul hopp voilà ce qu'il leur faut.y a pas plus con qu'un américain ou un turc à roppongi, j'ai jamais vu çà.une honte!lol
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S
les bars sont trés bons à roppongi,les gens sont cools, mais ce sont les connards d'américains musclés,et quelques français ,espagnols,italiens, turques...qui mettent le bazard.ce sont ces<br /> chasseurs de japonaises, qui ne viennent que pour la viande,sans mm savoir un mot de japonais, ils me foutent la honte, j'ai envie de les renvoyer chez eux, ils n'ont rien à faire au japon.ce qui<br /> me fait rire c'est qu'ils pensent qu'ils plaisent aux japonaises, mais c faux, elles sortent juste avec seulement pour la frime.je veux vivre à tokyo, dans deux ans.j'y suis allé pour la deuxiéme<br /> fois cet été, et ce qui m'a déçu et écoeuré, est cette horde de gaijin musclés, sans cervelles,qui n'a rien compris.
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J
Bien écrit, bien qu'un peu exagéré. Ayant été plusieurs fois à Roppongi, ce sont effectivement surtout les mecs qui chassent les filles et non l'inverse (à part peut être certaines en manque d'affection). Bien qu'un peu glauque la nuit, Roppongi reste un quartier bien moins dangereux que ce qu'on peut trouver en Europe. Je n'y ai jamais vu une seule bagarre,et s'y promener seul, même pour une fille n'est pas dangereux (mieux vaut éviter tout de même les petites ruelles sombres)
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J
Très bel Article, très noir, mais très bien écrit... Et avec (un peu) de réalité !! ;-)) Roppongi, c'est Pigalle, la nuit, à la Japonaise...<br /> <br /> Rappel : Vous ne risquez rien des (Vrais) Yakuza...
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K
Très bonnes photos sur ton site, H. Un traqueur narquois de l'insolite?
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