Nihongo ga jouzu desune!
Ceci est un témoignage sur les petits rien qui bouffent la vie. On parle là de l'usure quotidienne, le supplice de la goutte d'eau qui ronge les nerfs. Je veux parler du racisme au Japon. Ce n'est pas un racisme si apparent au début, mais c'est un racisme persistant qui, même si il n'est pas a priori mal intentionné, finit par user les nerfs du gaijin. Mais revenons un siècle et demi en arrière. Le Japon est un pays fermé ou les étrangers n'ont pas le droit d'entrer. C'est un pays technologiquement et socialement médiéval. Absence totale d'industries et un systeme de classe très rigide qui a ses répercussions encore maintenant. En 1854, le commodore Perry arrive dans la baie de Tokyo avec ses gigantesques bateaux modernes et fait une demonstration de force. Le message est en gros le suivant: "ouvrez le Japon à l'étranger ou alors c'est nous qui le ferons et ce sera vite réglé". Il faut voir là dedans une extension de l'esprit d'entreprise capitaliste américain qui voyait là un grand marché potentiel et encore vierge. Terrorisés, choqués par la différence technologique, le gouvernement du shogun est tombé, remplacé par une ère de modernisation. Sauter du moyen-age à l'ère industrielle sans passer par la case renaissance et ses quelques siècles de digestion ne s'est pas fait sans heurts et explique certains tournant de la premiere moitié du XXe siècle pour le pays fasciste et ultra-nationaliste qu'etait alors le Japon.
Donc la présence d'étrangers non asiatiques au Japon est relativement récente et les non asiatiques nés et élevés au Japon sont encore peu nombreux. Cela explique en partie mais n'excuse rien. Il est possible que le touriste ou alors le gaijin qui ne parle pas le Japonais ne soit pas trop atteint. Il est aussi possible que les anglophones soient aussi moins fatigués par tout cela. Le fait est que les nippons ne s'attendent pas à ce qu'un non asiatique parle Japonais. Deux regles de base de reflexion des Japonais:
1. seuls les Japonais sont capables de parler Japonais.
2. Les blancs sont tous des anglophones.
Invariablement, les nippons vous adresseront des "hello", des "thank you" et des "goodbye". Même si on leur a precisé qu'on etait pas anglophone. Si ils veulent vraiment parler une langue etrangère, qu'ils utilisent au moins la langue de la personne ! Conseil technique: si un Japonais vous dit "hello" répondez avec "nihao" ("Bonjour" en Chinois). Moi aussi, je peux faire des amalgames si je veux.
On en arrive aussi à des situations bizarres. Perdu dans la rue, on arrête un local pour lui demander le chemin. Confronté à un étranger, le Japonais se bloque. Il est persuadé qu'il lui faut répondre en Anglais. Et l'esprit perfectionniste développé par leur système scolaire para-militaire fait que non seulement il faut répondre en Anglais, mais enore dans un Anglais parfait. Il va donc se figer, les pupilles vont se dilater, rester coi. Là, la personne a zappé. Les neurones ont fait court-circuit, on peut plus rien en tirer. Le pire est que cette situation arrive même si on s'adresse à la personne directement en Japonais. Si par chance l'interlocuteur ne plante pas, une etrange conversation commence, avec le gaijin en train de poser des questions en Japonais et le Japonais en train de répondre en Anglais. On peut voir ça de deux facons: les Japonais sont très sympas, ils essaient de parler la langue de l'interlocuteur (qui bien sur doit être l'Anglais...) ou alors les Japonais sont racistes et ne peuvent concevoir qu'un blanc ou un noir soit Japonais. Delit de faciès, baby.
D'autres variations de ce phénomène sont très courantes. Par exemple, on fait ses courses au supermarché, et on passe à la caisse. La caissière calcule le montant, on paie, elle rend la monnaie et la on répond machinalement un "arigatou". Et là, elle répond "nihongo ga jouzu desune". Ce qui veut dire "vous parlez vraiment bien Japonais". Si je venais de faire une présentation orale sur l'explosion des phylas apres la catastrophe du pre-cambrien en Japonais, j'aurais pris ça pour un compliment. Là, c'est une insulte qui signifie pour le paranoiaque aux nerfs usés que je suis "vous les gaijin êtes si bêtes que je suis émervéillée que vous sachiez au moins dire merci". Je suis paranoiaque, oui mais ca n'enlève rien au fait qu'ils soient racistes. Autre exemple, je me rends à la visite medicale pour l'entreprise. La premiere chose que me dit le docteur en me voyant est "do you speak Japanese?". Ca part peut-être d'une bonne intention, mais ça ne fait que montrer leurs a prioris. Je ne considère pas la France comme un pays forcement très ouvert et tres tolérant. Cependant, si une personne éthniquement asiatique m'arrête dans la rue, mon premier reflexe sera de lui parler en Francais, pas en Anglais, ni en Chinois. Ceci est un symptôme d'une mentalité encore insulaire.
Il ne faut pas croire d'ailleurs que ce soit moins difficile pour les étrangers non asiatiques. Bien qu'on ait droit à cette discrimination directe et que cela nous ferme les portes de certains lieux (bars, clubs ou bains publics interdits aux non asiatiques...), le lot des étrangers asiatiques est encore pire car les autres bénéficient au moins d'un cote exotique et sympathique. La discrimination envers les gens d'origine chinoise ou coréenne est très dure. Quand je parle d'origine, je réfère à trois générations de différence. Beaucoup de violences et d'inégalités dans les droits. On peut citer le gouverneur de Tokyo qui a dit il y à quelques années que les Chinois étaient plus encluns au crime a cause de leur code genetique. Beaucoup de problèmes actuels des relations entre le Japon et autres pays d'Asie sont liés a cette culture encore insulaire, médiévale, très fermée. Je reviendrai là dessus quand je parlerai du traitement des crimes de guerre nippon dans l'histoire nationale. Ca fait froid dans le dos.
Donc si vous allez au Japon, balbutiez un "arigatou" ou un "konnichiwa" et recevez une reponse souriante du type "nihongo ga jouzu desune", c'est pas forcement un compliment.